[Et bien voici l’intégralité de l’interview du député Bernard Depierre réalisée par mes soins. J’ai eu un souci de micro sur la première question, et j’ai dû reconstituer le puzzle de la réponse grâce à mes prises de notes et aux notes personnelles de monsieur Depierre qui avait eu les questions le jour précédent. C’est pour cela que la retranscription de cette interview a pris tant de temps, ce dont je vous demande de m’excuser. Ce qui suit sont les propos exacts de monsieur Depierre, lors de cette entrevue du premier décembre 2006.]


Khayrhalt : Bonjour monsieur le député. La description du jeu Rule of Rose était erronée puisqu’il n’y a pas de scène de viol dans ce jeu. Que pensez-vous des termes excessifs que vous avez utilisés ?

Le député Bernard Depierre : Je veux dire à tous vos lecteurs, à tous les joueurs mais aussi aux éditeurs que les propos relatifs au jeu « Rule of Rose » concernant l’appel au viol étaient effectivement erronés. Pour le reste, reconnaissez que ce jeu a une ambiance très malsaine. Il est, je crois, interdit en Angleterre et en Australie. Je veux préciser que j’ai retiré toutes les communications relatives à ce sujet dès que l’information contradictoire à celle donnée par la Commission Européenne faisant une description de ce jeu particulièrement alarmante m’a été confirmée. J’ai effectivement cru que la Commission Européenne était une caution et j’ai eu tort. Ceci dit, vous conviendrez que l’ambiance du jeu demande la plus grande attention et la plus grande vigilance. J’ai pris le soin de prendre contact avec 505 Games qui édite ce jeu. Notre volonté était d’ouvrir le débat sur la question de l’ultra violence et d’alerter l’opinion publique, les parents, les éditeurs, les médias… sur l’explosion des messages et images très violentes dans les jeux vidéo notamment (mais pas seulement puisqu’il est nécessaire de s’interroger de la même manière sur les films, les dessins animés, la télévision, ou encore certaines publications…), en cela je crois que nous avons atteint notre objectif. L’amendement n’a pas été adopté bien sûr. Nous nous en doutions puisque nous touchions là au principe de liberté de création et d’expression -du code de la propriété intellectuelle-… toutefois, nous sommes persuadés aujourd’hui que dans un climat apaisé il est possible d’encadrer un peu plus ou un peu mieux ou un peu différemment, les jeux vraiment très violents pour en réduire l’accès aux plus jeunes notamment. C’est pourquoi, j’ai très officiellement pris l’attache du SELL mais aussi de l’AFJV et de l’APOM. Notre première réunion de travail pourrait avoir lieu le 13 décembre avec deux pistes de réflexion : les circuits de distribution et les critères de classification.

Khayrhalt : Il existe déjà une réglementation mise en place par le PEGI avec les principaux syndicats d’éditeurs SELL, ESRB… Un travail énorme de signalétique est fait. Pourquoi vouloir tout interdire ?

Le député Bernard Depierre : La mention d’une interdiction aux moins de 18 ans, voire aux moins de 16 ans ne peut suffire à protéger les plus jeunes : c’est un leurre de le penser. Certains « spectacles » passent à une heure matinale de la soirée ou tardive de la nuit, et il y a aussi ce type de prescription. Ca n’empêche évidemment pas tel et tel de regarder ces émissions. Je crois qu’en fait c’est un problème beaucoup plus global. Les promoteurs et les créateurs de ces jeux -je les respecte complètement, ce sont des entrepreneurs et je soutiens l’entreprise- simplement il nous semble – quand je dis « il nous semble » ce n’est pas simplement aux deux ou trois co-signataires de ces amendements, il y a eu 200 amendements sur ce texte- Il nous semble donc que quelquefois trop c’est un peu trop, et qu’incontestablement on ne sait plus où est la limite. C’est comme dans la violence ou les jeux qui conduisent à la guerre, on en a eu l’exemple en Allemagne avec ce jeune qui regardait des jeux de guerre et qui a « transcodé » dans son lycée une scène de guerre, il a blessé 27 de ses camarades. On peut penser qu’il y a eu une transmission du virtuel au réel.

Khayrhalt : A ce moment-là, que pensez-vous de l’armée américaine qui édite des jeux et qui les offre dans les écoles aux Etats-Unis, jeux dans lesquels on joue un GI qui va en Afghanistan pour tuer des Afghans ? Je trouve que la question est beaucoup plus large que ça, et plutôt que mettre en exergue un jeu qui de toute façon ne va pas forcément être acheté par beaucoup de personnes, il vaut mieux élargir le débat. Il faut savoir que 505 Games est l’un des plus petits éditeurs au monde et qu’ils éditent ce jeu en quelque sorte parce que personne ne veut l’éditer par peur de l’échec commercial. Pourquoi stigmatiser un jeu qui n’est pas le centre du sujet et pas d’autres soucis plus flagrants… comme les pubs à la télé pour certains jeux de guerre réalistes, dans lesquels on joue un « personnel armé » et qui passent à heures de grande écoute ?

Le député Bernard Depierre : Oui, je suis d’accord avec vous. Je pense que c’est un problème de société. On est dans un monde où la guerre est partout. Elle a été il y a dix ans aux portes de la France dans l’ex-Yougoslavie, elle l’est aujourd’hui au Moyen-Orient ou au « début de l’Asie », si j’ose dire, elle l’est aussi dans des pays d’Afrique. Mais incontestablement, au-delà de la médiatisation de ces situations par les chaînes télévisuelles ou la presse, je crois que la création de certains jeux -attention je n’assimile pas tous les jeux à ces types de situations- a semblé à beaucoup de parlementaires de toutes sensibilités un peu excessive. Et qu’incontestablement, vu qu’on travaillait sur un texte pour lutter contre la délinquance et contre certaines formes de violences issues de la délinquance, il nous a semblé important de mieux codifier, voire faire certaines interdictions lorsque les scènes ne sont pas acceptables. Non pas au nom de la morale, nous ne sommes pas des moralistes nous sommes des élus du peuple, mais simplement au nom de l’équilibre de notre société. Il fallait à notre sens que les créateurs et les promoteurs, même s’ils se retranchent derrière le droit de propriété -légitime, que nous respectons- n’en rajoutent pas à des situations qui dans notre pays -et surtout dans beaucoup d’autres- sont des situations inacceptables.

Khayrhalt : J’en reviens à certains jeux jugés violents. On peut distinguer deux types de jeux : ceux où l’on est vraiment « acteur » et dont le but est réellement d’annihiler l’ennemi, et puis les jeux d’ambiance, comme par exemple « Rule of Rose » qui est basé sur une histoire très profonde, qui est un peu une relativisation de la psyché enfantine et va très loin dans son scénario pour faire réfléchir les gens sur la cruauté que les enfants peuvent avoir entre eux. Il y a donc des jeux destinés aux adultes, qui sont là pour faire réfléchir -le jeu vidéo est maintenant considéré comme une création artistique et plus comme un simple défouloir-, qu’en pensez-vous ? Concevez-vous qu’un jeu puisse être une création artistique et donc coller aux attentes de certains adultes et pas forcément à celles d’enfants de moins de dix ans ?

Le député Bernard Depierre : J’ai malheureusement le sentiment qu’un grand nombre de ces personnes -mineures ou majeures- ne vont pas forcément y trouver des sujets de réflexion. J’ai malheureusement peur aussi que la réaction de ces utilisateurs soit plus au premier degré qu’au second, et incontestablement, je crois qu’il faut qu’en accord et en négociation avec ces créateurs, le législateur doit trouver un terrain d’entente qui permette à la fois de ne pas casser la création et la promotion de certains jeux -puisque c’est une source de notre économie non négligeable et que je salue- et trouver un bon équilibre. Vous savez, je ne suis pas pour tous les interdits, je me suis beaucoup battu par exemple dans le domaine du tabac pour que l’on ait une formule « à l’espagnole », cela veut dire que chaque chef d’entreprise, cafetier, bar PMU, restaurant, décide en fonction de sa clientèle d’installer une pièce fumeurs ou une pièce non-fumeurs. Je ne suis pas pour les interdits, de la même manière dans la prévention routière, il y a 1500 radars fixes. C’est bien, ça suffit. Les jumelles et les radars dans des voitures embusquées me semblent tout à fait excessifs. Et bien c’est le même problème. Je crois que c’est un problème d’équilibre, et de société. La France est un pays qui échappe -en tout cas pour l’instant- à des situations aussi dramatiques que d’autres pays vivent, et incontestablement la trop grande diffusion de scènes de violence au sens très général du terme -évidemment ce n’est pas que de la violence physique, il y a des violences morales qui sont beaucoup plus difficiles à supporter- doit être équilibrée, afin de conduire les développeurs, promoteurs, revendeurs et les chaînes télévisuelles à respecter des règles minimales. Je crois aussi que nous avions la volonté à travers cette grande série d’amendements d’essayer de trouver une situation d’apaisement entre les générations, entre celles et ceux qui ont la capacité de mesurer que ce n’est qu’un jeu et celles et ceux qui n’ont pas cette capacité.

Khayrhalt : Dites-vous aussi qu’il y a des gens tels que les journalistes spécialisés dont c’est le travail, avertir les gens, les prévenir quand certains jeux sont dangereux ou portent atteinte à quelconques minorités ou autres. Si les gens achètent cette presse, c’est justement pour être informés et évidemment ce n’est pas un vendeur qui va informer de la même façon, à cause des impératifs de ventes. Maintenant il faut bien savoir que les vendeurs n’ont pas tous les torts, après tout il y a les labels apposés sur les boîtes de jeux, et puis ils sont censés demander la carte d’identité des acheteurs quand il y a doute sur l’âge de la personne en question. Accessoirement, il y a certains chiffres révélés par une étude de la SOFRES commandée par le Nouvel Observateur qui montrent que quatre joueurs sur dix sont des femmes -pas vraiment penchées sur la violence brute-, qu’en plus seulement 10% des joueurs sont des enfants de moins de dix ans -la population la plus à risque- et que l’âge moyen des joueurs est de 25 ans, et pour la plupart plus de 30. Donc je pense qu’à 30 ans on a assez de sens commun pour comprendre ou relativiser la violence dans les jeux. Est-ce que vous pensez que c’est raisonnable de continuer de dire que les jeux pervertissent les enfants quand on s’aperçoit que finalement ce sont plus les adultes qui jouent ?

Le député Bernard Depierre : Je ne conteste pas cette enquête. Notre voeu, mon voeu, et les voeux qui étaient déposés concernaient les enfants mineurs. Je n’ignore pas, dans ce domaine comme dans d’autres, qu’il y a des adultes qui sont à l’affût et à la recherche de ce type de jeux très violents, mais à l’affût aussi d’« autres spectacles », vous voyez ce à quoi je pense. Incontestablement nos amendements -et celui que j’avais déposé- n’avaient absolument pas de finalité pour celles et ceux qui ont l’âge de raison. Mais il y en a qui ne l’atteignent jamais.

Khayrhalt : Pour les mineurs, nous [la communauté des joueurs en général] sommes tout à fait d’accord avec le fait que le PEGI ou le SELL apposent des mentions. De toute façon il y en a déjà énormément. Sur chaque jeu il y a bien sûr l’âge minimum -« moins de 18 ans, moins de 16…- plus une explication de ce qui se trouve à l’intérieur du jeu : des symboles pour la violence, les rapports sexuels, même le langage grossier est signalé, voyez comme c’est précis. Etant donné que cela existe déjà, quel est l’intérêt de redemander un label plutôt que de faire un peu de répression auprès des revendeurs ? En tant qu’acheteurs, responsables, beaucoup sont pères ou mères de famille, nous concevons tout à fait qu’un vendeur puisse être taxé parce qu’il a fait une erreur, ou puisse être condamné pour une faute. Pourquoi ne pas faire un peu de répression où elle est possible ?

Le député Bernard Depierre : Je vais vous répondre. On est dans le contexte d’un projet de loi auquel je crois beaucoup et qui a été amendé par les sénateurs de manière assez sibylline. Il a pour but non pas de contrer les jeux très violents, mais de mettre en place un certain nombre de règles à partir de la loi et à partir de ses décrets d’application, pour que les 85000 agressions par an dans les collèges et les lycées qui sont souvent la… [là je regarde le député en lui souriant, conscient qu’il va dire une bêtise. Du coup il se reprend] …qui sont quelquefois… qui sont quelquefois -on va faire à moyen terme- l’émanation de jeunes qui justement transcodent du virtuel de ce qu’ils ont pu voir au réel des situations. Je crois qu’on ne peut pas le contester, toutes les études l’ont prouvé en novembre dernier. Je ne fais pas du tout le procès de la jeunesse, je me suis occupé de la jeunesse toute ma vie. Je suis un militant associatif sportif -en dehors du fait que je suis un élu- et incontestablement ma volonté est de trouver un équilibre. Cet amendement va passer en deuxième lecture -mais modifié, amendé après négociation avec les professionnels- et cet équilibre a été demandé par monsieur le ministre Christian Estrosi, et également le président de la commission des affaires sociales Jean-Michel Dubernard. Et moi je ne souhaite pas d’amalgame avec d’autres voeux qui ont été déposés par d’autres parlementaires. Moi je suis un parlementaire transparent et courageux, j’ai défendu sans excès cet amendement -quatre lignes, ça a duré 45 secondes- d’abord parce que j’avais l’intime sentiment qu’il fallait marquer le coup, marquer le terrain, et progresser dans un esprit de négociation, mais qui conduira à ce que les promoteurs et les créateurs ou les vendeurs �-ou l’ensemble de cette profession que je respecte totalement parce qu’ils créent aussi des jeux du plus grand intérêt- puissent accepter de ne pas contribuer à l’aggravation de la délinquance.

Khayrhalt : Ca, évidemment, toute personne de bonne conscience pensera exactement la même chose. Maintenant êtes-vous partisan de vous entretenir avec…

Le député Bernard Depierre : La réponse est « oui » !

Khayrhalt : Laissez-moi finir. Vous entretenir avec des gens qui sont dans le secteur. Pour que vous ayez des informations moins erronées que celles que vous avez eues par rapport à ce jeu.

Le député Bernard Depierre : Vous ne saurez ignorer que toute la presse s’est intéressée particulièrement à ce voeu. J’ai répondu à RTL, à Europe 1, à RMC, demain à FR3, à des journaux spécialisés -y compris des journaux de promotion de jeux-, à la presse locale bien sûr, et qu’incontestablement si le Figaro et le Parisien ont repris cet amendement c’est parce qu’il leur semblait 1 : la base d’une concertation conduisant à des arrêts sur certains aspects et 2 : la volonté que ce n’est pas la loi qui doit tout décider, mais lorsque la loi est en débat il faut que toutes celles et tous ceux qui sont concernés acceptent de se mettre autour de la table.