L’interview de Monsieur Luca décortiquée
Primo, je vous livre le texte brut, la transcription EXACTE de l’interview faite par LCI de ce cher monsieur Luca.
LCI : Quelle est votre réaction par rapport à cette sortie [celle du jeu « Rule of Rose »]? Lionnel Luca : Scandalisé. Scandalisé… Alors on pourra toujours dire « Ben y’en a déjà« , mais justement c’est « un de trop » parce que celui-ci est particulièrement scandaleux… violer une petite fille de cinq ans, faire des scènes de tortures, c’est du nazisme ordinaire. LCI : Vous dénoncez ce genre de jeux vidéo ? A part celui-ci vous les dénoncez tous… ceux « violents » ? Lionnel Luca : Oui, je crois qu’il faut arrêter, parce que après on le voit bien dans notre société, il n’y a plus aucune barrière, aucune limite. « Violer un bébé de sept mois » c’est ce qu’on lit comme si de rien n’était. Et je trouve qu’on a atteint des seuils dans la barbarie qui font frémir, et j’appelle ça du nazisme. Qui ne dit pas son nom… mais que nous tolérons… et il n’y a pas de liberté pour ce qui est de la barbarie et l’indignité. LCI : Alors justement quel est le rôle des parents par rapport à ces jeux vidéo, selon vous ? Lionnel Luca : Ben si les parents étaient vraiment des parents… ils l’interdiraient. Malheureusement il y en a certains qui s’y délectent aussi. Et donc la société doit prendre ses précautions et doit interdire ces choses, qui même si elles doivent être clandestines ensuite seront forcément limitées. Mais laisser en vente libre –uniquement pour faire du fric parce que l’affaire est bien là, hein, on fait tout ce qu’il faut pour racoler et utiliser les bas instincts ou la curiosité perverse et malsaine– je crois qu’il faut cesser, et que tout le monde devrait au contraire se mobiliser pour refuser la barbarie qui trouve après des conséquences dans des faits divers tous plus odieux les uns que les autres. LCI : Qu’est ce qu’on pourrait proposer, justement, de concret par rapport à ces jeux vidéo violents ? Lionnel Luca : Ben moi je voudrais déjà que l’Etat reprenne un peu les choses en main. J’ai connu une période dans mon enfance -qui n’est pas si éloignée que ça- où il y avait un comité de censure pour les ouvrages destinés à la jeunesse. Ca fait sourire aujourd’hui, hein, on était très très pudibonds… Entre la pudibonderie ringarde et puis la barbarie tolérée, y’a peut-être un équilibre… et je crois que c’est le rôle des adultes et c’est le rôle de l’Etat de ne pas laisser à la portée de tous des choses qui sont scandaleuses, je le répète. Ce n’est pas la peine de dénoncer le nazisme quand on le pratique confortablement, et je le répète pour faire du fric. LCI : En France il y a des directives effectivement, est-ce qu’en Europe il y a ces directives ? Est-ce qu’on a des exemples, la commission européenne par exemple ? Lionnel Luca : Oui alors bonne nouvelle pour une fois, on peut se réjouir que la commission européenne soit également scandalisée. il doit y avoir une réunion des ministres de l’intérieur prochainement et le commissaire européen monsieur Franti a proposé effectivement, qu’un certain nombre d’interdits soient faits pour certains jeux vidéo vraiment indignes de ce qu’on appelle l’Union Européenne. Je rappelle que l’Union Européenne se flate et se vante d’avoir comme dénominateur commun l’interdiction de la peine de mort. Et bien ce n’est pas la peine de l’exalter en permanence et de permettre cette peine de mort, de torture, de barbarie aux plus jeunes de nos concitoyens. |
– Bon, alors maintenant que vous avez lu « ça« , un peu de rigueur. On peut tout d’abord signaler les questions honteusement pathétiques de cette journaliste analphabète qui anone des idioties hallucinantes pour caresser le député dans le sens du poil. Elle met de belles transitions entre les questions, alors que rien ne les rattache (comme le « justement quel est le rôle des parents » alors que le député parle de nazisme… pas mal comme rapport. On a donc affaire à une journaliste qui cherche à se faire bien voir, et dont les questions ne sont pas écrites (on ne peut pas dire « Est-ce qu’on a des exemples, la commission européenne par exemple ? » si l’on a écrit sa question, ou alors il faut avoir sauté le cours sur les répétitions et la lourdeur des phrases en CM1.
– Passons maintenant à la syntaxe de ce cher Député. Quand on est député, on doit savoir s’exprimer… Sauf que même dans une interview « sur le pouce » on ne peut pas sortir des fautes de Français aussi énormes… quand on aime la République :
« …faire des scènes de tortures… » >>> ça se passe de commentaire. Dans un jeu vidéo, on « fait » des scènes de torture. Classe, comme formulation.
« – Malheureusement il y en a certains qui s’y délectent aussi.« . >>> Quand on est député, on sait que le verbe est « se délecter de« , et pas « se délecter dans« .
« – je crois qu’il faut cesser, et que tout le monde devrait au contraire se mobiliser pour refuser la barbarie qui trouve après des conséquences dans des faits divers tous plus odieux les uns que les autres. » >>> La phrase la plus lourde de la Terre, dite sans respirer ou presque. La classe ministérielle, on dirait du Jean-Pierre Raffarin.
« – Ca fait sourire aujourd’hui, hein, on était très très pudibonds… » >>> La pudibonderie est une « réserve excessive quant aux choses du sexe », en clair de la timidité maladive. Or, il fait référence à Rule of Rose en tant que produit « Nazi », relevant du viol d’enfants. Cela n’a rien à voir avec la pudibonderie, mais carrément avec le puritanisme, qui veut dire dans une certaine acception « rigidité juqu’à la sévérité ». Là, sa phrase serait acceptable, bien que peut pertinente.
« …et le commissaire européen monsieur Franti a proposé effectivement, qu’un certain nombre d’interdits soient faits pour certains jeux vidéo… » >>> Depuis quand on « fait » des interdits ? Cela n’a aucun sens et n’est pas de « bon aloi », monsieur le député.
» – Je rappelle que l’Union Européenne se flate et se vante d’avoir comme dénominateur commun l’interdiction de la peine de mort. » >>> Navré monsieur le Député, mais on parle d' »abolition de la peine de mort », pas d' »interdiction », terme plutôt réservé au réglement intérieur d’une école primaire. Du moins c’est ce que l’on m’a appris dans cette même école primaire.
» …permettre cette peine de mort, de torture, de barbarie aux plus jeunes de nos concitoyens. » >>> J’adore l’idée de « permettre une peine de torture ou de barbarie ». C’est classe comme locution : « peine de barbarie ». Ca fait très « député qui cause bien », je trouve.
Après cette étude purement formelle de la syntaxe de notre « ami », attachons-nous à sa capacité à juger « Rule of Rose« . Comme l’a souligné Skywilly dans la news précédente, 505 GameStreet a clairement dit que le jeu ne présentait pas de scène de viol de mineurs, ni de scène de torture. Pour avoir joué au jeu et l’avoir aimé au-delà de toute espérance pour sa puissance narrative, je suis en droit de vous dire quelques mots à ce propos, surtout face à ce « connaisseur » qui n’a probablement jamais touché une PS2 de sa vie, et encore moins un jeu tel que Rule of Rose. Je peux témoigner du fait que l’héroïne est violentée par d’autres gamins, très jeunes. Il y a de la torture morale tout au long du jeu, parfois assez insoutenable pour les âmes sensibles, mais pas plus que dans Silent Hill 2 (oeuvre magistrale incontestée) ou Project ZERO (qui a vu ses droits achetés par Spielberg… preuve qu’on fait bien face à du « nazisme » comme le dit monsieur le député, c’est évident…). Le souci, c’est que c’est justement le propos du scénario de ce jeu qui se veut « intelligent ». Hoooo, le concept du jeu qui fait réfléchir est assez nouveau pour monsieur Luca, je suppose. Il faut souligner que le jeu est un jeu japonais, un peuple où l’on se soucie beaucoup de la psychée enfantine et où l’on se demande souvent d’où vient la cruauté naturelle des très jeunes mômes. Certains mangas comme ceux de Knife (Sister, des nouvelles horrifiques avec un gosse tueur dans la lignée d’un Edgar Allan Poe) ou bien le célèbre Nekojiru Udon, manga très célèbre au pays du Soleil Levant… voire même Akira et Dômu, rêves d’enfants de Katsuhiro otomo (pas le plus petit des mangaka, accordez-le moi) ! Mais demander à un député borné de comprendre une autre culture… je pense que cela le dépasse quelque peu.
Evidemment, le député surclassé ne s’est jamais donné la peine de mettre la galette dans le lecteur avant de dire des conneries plus grosses que sa tête enflée. Continuons sur les déclarations de ce cher monsieur si calé dans le dossier « jeux vidéo », probablement plus que moi qui n’ai au final joué qu’environ 2500 heures en 2006 :
– La phrase « « Violer un bébé de sept mois » c’est ce qu’on lit comme si de rien n’était. » parle de la presse et des faits divers. Mais dans le contexte de l’interview, on croit facilement que cela arrive dans le jeu. Démagogie pure pour faire peur aux parents. La phrase ressort hors-contexte et fustige le jeu alors qu’il ne devrait pas en être question. Bravo.
– Le député UMP utilise trois fois le mot « Nazisme » pour décrire le fait de jouer au jeu vidéo Rule of Rose. Bizarre, je suis de gauche, je vote à gauche, je hais la doctrine nazie de tous les pores de ma peau et je n’ai jamais vu de nazisme dans le fait de jouer à un jeu vidéo… Alors voilà les phrases, totalement démagogiques encore une fois :
« – violer une petite fille de cinq ans, faire des scènes de tortures, c’est du nazisme ordinaire. »
« – Et je trouve qu’on a atteint des seuils dans la barbarie qui font frémir, et j’appelle ça du nazisme. »
« – Ce n’est pas la peine de dénoncer le nazisme quand on le pratique confortablement, et je le répète pour faire du fric. »
La première phrase nous apprend que les pédophiles sont des nazis, là je dis « chapeau ». Violer une gamine c’est être nazi. Moi je croyais qu’être nazi c’était tuer des millions de personnes en croyant que l’on appartenait à une race supérieure qui n’a aucun rapport avec une réalité scientifique, mais j’ai dû louper certains cours d’Histoire contemporaine. Et je croyais qu’un pédophile était un enfoiré de salopard qui profitait de la faiblesse des gosses pour assouvir ses déviances sexuelles et qui mériterait la castration, mais grâce à monsieur Luca, je dormirai moins con cette nuit.
La seconde phrase dit que Rule of Rose atteint des hauteurs énormes dans la barbarie. Mais le Kossovo par contre non. Le Rwanda, pas du tout. Evidemment ce n’est pas comparable, vous me direz même que je suis démagogue moi aussi ? Pas si on se dit que les gosses sont devant leur télé lors du journal de 20 heures, en train de bouffer quand on leur fout devant le nez des militaires qui flinguent des « méchants étrangers » dans des pays aux noms exotiques. Pour ce député qui n’a jamais ne serait-ce qu’entrevu la jaquette du jeu, Rule of Rose est un crime odieu contre la morale. Pour moi qui y ai joué, c’est un exceptionnel scénario mis au service de l’introspection de tout un chacun vis-à-vis de son « ça » enfantin. En effet, je crois qu’on n’a pas vraiment la même vision des choses. Là où on peut être d’accord, c’est si on dit que le gameplay pue des dents. Ha non, je suis con, ce mec doit penser que le mot gameplay signifie « brosse à dent ».
La dernière phrase sous-entend que 505 GameStreet sort des jeux pour la thune… C’est à crever de rire quand on sait que c’est un des plus petits éditeurs du monde, et qu’il se contente des miettes que veulent bien laisser EA ou SONY… Là, je crois qu’on atteint le must de l’incompétence. Non seulement monsieur Luca n’a AUCUNE CONNAISSANCE du secteur d’activité du jeu vidéo, mais en plus il associe des éditeurs très petits à une vaste conspiration visant à flatter les bas instincts des jeunes joueurs afin de vendre un jeu… probablement à 2000 exemplaires, c’est-à-dire rien du tout, en fait. Bravo monsieur le député, vous êtes officiellement incompétent. On dirait même la vieille histoire du collabo qui disait « Bah de toute façon les Allemands ont raison, ces Juifs vendraient leur mère pour de l’argent. » : on prend un cliché et on essaye de sauver sa morale avec ça. Pendant la guerre c’était cette phrase absurde, maintenant c’est « les jeux vidéo sont un fléau pour la jeunesse« , et on essaye de se faire réélire avec un truc pareil, en pensant que ça va flatter les vieux qui voient le fossé entre les générations s’agrandir de jour en jour.
Monsieur Luca et la législation : un grand débat d’idées… ou pas. En fait, monsieur Luca ne connaît même pas la loi et le marché international, c’est fort. Rule of Rose est interdit aux Etats Unis aux moins de 18 ANS, normal quand on voit que pour un sein à moitié dénudé les jeux se voient passer en « M » (l’équivalent du « +18 » européen) aux States. En Europe, la loi est souvent plus souple (South Park est interdit aux moins de 18 ans aux Etats-Unis, mais aux moins de 10 ans en France !), mais pour Rule of Rose pas de passe-droit : le jeu est également interdit aux moins de 18 ans. ALORS OU EST LE PROBLEME ? Le jeu ne peut logiquement PAS ETRE VENDU A UN MINEUR, donc pourquoi blâmer les joueurs ? Lorsque je vais chercher des Mentos chez mon buraliste préféré, je tombe souvent face-à-face SUR LE TROTTOIR avec des publicités DE MA TAILLE vantant les mérites de « Truc de filles à poil avec des hommes bien membrés » ou encore « Stars du X sur ta quéquette » avec de belles photos de femmes pas vraiment vêtues. On les balance devant des gosses de cinq ans qui passent avec leur mère sur le trottoir, et on vient faire chier (excusez le terme, je suis à bout) des joueurs qui ont PLUS DE 18 ANS ET QUI ONT LE DROIT DE FAIRE CE QU’ILS VEULENT sous des prétextes FAUX ET NON PROUVES afin de leur interdire de passer leur temps libre comme ils l’entendent ? Là, je crois que l’on bafoue le droit à la libre expression pour les développeurs, les droits civiques des joueurs, et qu’on fait revenir le quinzième siècle à grands pas. C’est beau de dire que les parents ne font pas leur boulot (et pas faux), mais trouver d’autres coupables alors qu’il n’y en a pas, c’est criminel.
Ho, juste un truc pour finir ce pamphlet avec panache : quand monsieur Luca termine sa merveilleuse intervention par un « …et le commissaire européen monsieur Franti a proposé effectivement, qu’un certain nombre d’interdits soient faits pour certains jeux vidéo…« , il faut savoir que monsieur Franti n’EXISTE PAS, et qu’on peut supposer que notre député tellement intelligent et compétent doit vouloir parler de Franco Frattini, commissaire européen chargé de la Justice et des Affaires intérieures depuis le 23 novembre 2004. Là, on voit bien que quelqu’un a filé un dossier de presse merdique écrit par un singe analphabète et arthritique à monsieur Luca, et que sans rien vérifier du tout ce grand monsieur est allé dégoiser devant les caméras de droite de LCI afin d’asseoir sa science infuse devant le monde entier, tout paon qu’il est. Là je m’emporte, et je vais arrêter sur ces mots, avant de devenir vulgaire. Mais en même temps, avec tous les gros mots de mon vocabulaire je n’arriverai pas à devenir aussi détestable qu’un politique désireux de se faire mousser à tout prix, démontrant que la politique actuelle n’est que mascarade honteuse et non une réelle réponse aux attentes des gens. On verra si j’arrive à interviewer le député Depierre (il habite ma ville, c’est déjà plus simple) d’ici quelques jours, il a l’air d’avoir un cerveau, lui. Voyons comment il va répondre à mes questions… on avisera ensuite.
Malgré tout, j’incite 505 GameStreet à porter plainte pour diffamation contre monsieur Luca, je suis moi-même en train de me renseigner afin de porter plainte de mon propre chef. Cette fois c’est allé trop loin, parler de NAZISME est une chose que ce député n’aurait jamais dû faire, et je ne serai satisfait que devant des excuses publiques. Ajoutons que Monsieur Luca incite au piratage en arguant que tout ceci est mieux en étant clandestin. Faut donc se dire que 200 personnes ont travaillé au japon sur ce jeu, afin qu’il puisse tranquilement passer dans le domaine du piratage… tout-à-fait logiquement. Merci monsieur Luca, sans vous je serais perdu ! C’est avec des interviews comme celle-ci que la politique sera mieux perçue par les jeunes ! Quelle leçon ! Ouais ! Hourra ! Ou pas.
Merci d’avoir lu tant de mots, ça fait plaisir. Et navré pour le ton sentencieux, j’étais énervé, et je le suis toujours.